HISTOIRE FRANCOPHONE DE LA RÉGION DU DÉTROIT
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Ici, que l’on nommera Le Détroit, non pas la ville, mais la région sur les rives nord et sud du passage entre le lac Érié et le lac Huron. Ici, en écoutant bien, on peut entendre battre le cœur du continent. Nous sommes à neuf cents kilomètres au sud-ouest de la frontière québécoise. Sur la rive ontarienne de la capitale mondiale de l’automobile. Ici, le climat et la terre ont déjà ce souffle du Sud qui ne semble plus appartenir au Canada. Juste de l’autre côté de la rivière, se dresse Detroit, Motor City, qui a enfanté une civilisation. En fait, sans égard pour la frontière, nous sommes aux sources de l’American way of life. Et depuis trois siècles, il y a ici une communauté francophone bien vivante qui ne fait pas que laisser ses noms dans la toponymie. Elle marque aussi l’économie, la culture et, d’une manière générale, l’air du temps.
Nos ancêtres ont été les premiers Européens à venir s’installer. Nous nous sommes adaptés à ceux qui étaient déjà là puis à tous ceux qui ont suivi. En compagnie de nos alliés amérindiens, nous avons vu arriver les Anglais, les Américains puis tous les autres, de partout. Aujourd’hui, Windsor est l’exemple type de la grande mosaïque canadienne. Mais nous sommes toujours là, irréductibles, avec notre marque bien spécifique, fiers de notre héritage. Et toujours, loin dans le silence de notre mémoire, on entend glisser les premiers canots sur la rivière. Les “rabaskas.” C’est un beau matin d’été, l’eau étincelle et les cygnes paraissent un peu inquiets. Pour les voyageurs qui pagaient, c’est comme le premier jour du monde.
Ils étaient déjà là
Au cours des âges, des Amérindiens comme les Renards, les Miamis, les Neutres, et les Iroquois ne font que passer sur les berges du Détroit. Parfois même, le temps d’une saison ou deux, certains y installent leur campement, mais jamais de façon permanente. C’est ainsi qu’à l’aube du dix-septième siècle, les Premières Nations laissent à ceux qui vont suivre les lieux tels qu’ils devaient être aux premiers jours de la Création.
Premiers Européens
Ce sont des Français qui, les premiers, s’établissent de manière permanente dans cette région, déjà acquise à la Nouvelle-France depuis que les missionnaires Dollier et De Gallinée l’ont revendiquée au nom de Louis XIV. Cette même région qui un jour deviendra dominion britannique puis sera divisée entre deux nations : le Canada et les États-Unis, et entre deux villes pôles : Windsor et Détroit. Toutefois, avant même de plonger leurs racines dans la terre riche de ce pays, des sujets du roi de France à l’âme aventureuse, ont commencé à dresser l’inventaire de ses richesses.
Les Explorateurs
Déjà, en 1626, Étienne Brûlé fait remarquer l’abondance de la faune et de la flore locale au missionnaire de la Roche d’Aillon. Les père Brébeuf et Chaumonot passent tout l’hiver de 1640 sur la rive sud. Seize ans plus tard, Sanson d’Abeville établit la première carte représentant la rivière séparant le lac Érié du lac Huron. Encore treize ans et Cavelier de la Salle se sert de cette même carte pour remonter la rivière Détroit, voyage au cours duquel il croise Adrien Joliet, qui retourne à Québec. Une autre décennie, 1679, la Salle remonte à nouveau la rivière Détroit, cette fois à bord du premier grand voilier à sillonner les Grands Lacs de l’ouest, le Griffon. À bord se trouve le père Louis Hennepin qui, s’extasiant sur le paysage, conseille vivement à Cavelier de la Salle d’y établir un poste. Il faudra cependant attendre encore vingt-deux ans avant qu’un visionnaire Gascon ayant usurpé ses titres de noblesse n’y établisse la première colonie française toujours vivante à l’ouest de Montréal.
Fondation du Détroit
Au début du dix-huitième siècle, Anne Stuart menace les intérêts de Louis XIV dans toute la vallée de l’Ohio et la région des Grands Lacs, Un roturier Antoine Laumet, dit Lamothe Cadillac, qui rêve de fonder une capitale, réussit à persuader Callières, gouverneur de la Nouvelle-France d’établi un parc au Détroit, à l’endroit le moins large de la rivière où il sera facile de contrôler toute navigation à l’ouest du Lac Érié. Parti de Montréal en juin 1701 en compagnie de cinquante militaires et autant de colonnes, Cadillac aborde les rives du Détroit le 24 juillet 1701. Pas de temps à perdre, dès le lendemain, il dirige les travaux d’érection du fort Pontchartrain et de la chapelle Saint-Anne. Lorsque tombe la première neige de l’hiver, la petite colonie compte déjà 200 Français et 6000 Amérindiens.
Cadillac est écarté
1710, les Jésuites et les commerçants de Québec ont parlé; Québec et Paris ne veulent plus de Cadillac au Détroit, il est nommé gouverneur en Louisiane. Bien que ce soit impossible de l’affirmer, il semblerait qu’avant de partir il fasse tout ce qu’il peut pour détruire tout ce qu’il a contribué à construire — tout ceci expliquant son désenchantement du Canada et les propos qu’il aurait pu avoir avec François-Marie Arouet, dit Voltaire, en 1717, lorsqu’ils partageront une même cellule à la Bastille.
À cause de Voltaire ?
En 1712, une dispute entre les tribus installées autour du poste détruit presque la colonie, au point qu’en 1716, outre les miliciens, onze familles seulement demeurent au Détroit. Malgré tout, la vie s’y poursuit sans trop de heurts, partagée entre la chasse, la trappe et une culture de subsistance. En 1722, on installe une pêcherie sur l’île qui en tire son nom : l’Île à la Pêche — et non du fruit homonyme comme plus tard les Anglais le traduiront. Déjà douze ans que Cadillac est décédé en sa terre natale, lorsque le père Armand de la Richardie rétablit en 1742, sur l’ile aux Bois Blancs (Bob-Lo), la mission de l’Assomption qu’il avait d’abord établie en 1728, au village des Hurons. À la même époque, les Anglais arrivent de plus en plus nombreux dans la vallée de l’Ohio et Beauharnois décide d’augmenter la présence française au Détroit. Vers 1750, des familles quittent Montréal tandis que d’autres déjà sur place, comme les Marentette, Janisse, Goyeau, Parent ou Langlois, se voient accorder des terres à l’est de la mission des Hurons. Plus de cent familles habitent la colonie en 1742. Jean-Baptiste Goyeau, cultivateur de la mission, devient officiellement le premier fermier canadien en ce qui deviendra l’Ontario. Toujours pour encourager l’implantation française à la charnière des Grands Lacs, en 1749, le comte de la Galisonnière fait proclamer au tambour dans toutes les paroisses du Canada que tous ceux qui s’iront établir au Détroit recevront gratuitement outils, animaux et semence. Cette année-là, vingt-deux nouvelles familles prennent le chemin du Sud-Ouest pour s’établir à la Petite Côte. Mais rien n’y fait. On ignore toujours ce que Cadillac a pu dire du Canada à Voltaire, toujours est-il que les écrits de ce dernier, proclamant que le Canada n’était rien d’autre que quelques arpents de neige ont pu influencer Louis XV. Cela tant et si bien que le souverain français décide d’abandonner l’Amérique septentrionale aux Anglais en échange de la paix dans les Antilles productrices de sucre. Et c’est ainsi qu’en 1760, causant pour l’heure bien peu de changement dans le quotidien des colons, la colonie que Cadillac avait rêvée pour la métropole française du Nouveau Monde passe à la Couronne britannique.
Abandon de la mère-patrie
Malgré l’abandon de Versailles, les Canadiens ont établi au Détroit une solide colonie possédant toutes les qualités d’une société viable et bien organisée. Cette œuvre de colonisation et de civilisation, les Canadiens l’ont réalisée sans l’aide de la « mère-patrie », laquelle, on peut le dire, s’est alors davantage comportée en «mère-indigne ».
Grandeurs et misères de la civilisation
Quelques ombres peut-être au tableau de cette œuvre civilisatrice, comme la présence chez plusieurs familles du Détroit de beaucoup plus d’esclaves qu’ailleurs dans l’ancienne Nouvelle-France, notamment des Panis et des Africains. Également de nombreux cas de « trahison » de Canadiens vis à vis d’un Pontiac, les croyant pourtant ses amis. Lors de la révolte de 1763, alors que le major britannique Gladwin écrit en juillet: « On verra bientôt que la moitié des habitants méritent un gibier et que les autres devraient être décimés, des Navarre, Babie, Saint-Martin ou Lasalle se rangent du côté de ce même major contre les gens de Pontiac et au fort, quarante Canadiens se battent avec les Anglais contre ceux qu’ils continuent de nommer les « Sauvages ». Pendant ce temps d’autres familles, comme les Meloche, apportent leur soutien au chef des Ottawas.
Temps difficiles
Bien que la Couronne britannique soit devenue malâtresse de la région et bien que plusieurs colons, refusant le nouveau législateur, choisissent d’aller s’établir dans ce qui deviendra Saint-Louis, la majorité de la population est toujours majoritairement française, d’est-à-dire canadienne. En 1770, trois ans après que la mission l’Assomption soit devenue la paroisse Assomption, la plus ancienne en Ontario, on estime que la population du Détroit dépassera bientôt celle de Montréal, et le père Boquet, curé de Sainte-Anne, écrit que de nouveaux colons arrivent tous les jours. L’hiver de cette même année est particulièrement rigoureux, des navires restent bloqués dans les glaces du lac Érié pendant plus de deux mois et le ravitaillement se fait rare.
Une première séparation
La guerre d’indépendance américaine est marquée de nombreuses luttes fratricides parmi les Canadiens. Le lieutenant-gouverneur britannique Hamilton pense pouvoir organiser sept compagnies de soixante hommes chacune, il n’y parvient pas, bien que la majorité des Canadiens prennent le parti de George Ill, puisque la majorité de leurs relations commerciales se fait avec la province de Québec. Ce n’est pas le cas des Canadiens résidant dans les colonies de l’Illinois et de l’Indiana, gagnés, eux, à la cause de la Révolution.
En 1777, une poignée de Canadiens de Cahokia et de Peoria, partisans de la Révolution, surprennent le poste de Saint-joseph qu’ils mettent au pillage. Cependant, d’autres Canadiens réussissent à soulever les Amérindiens en faveur des Britanniques et massacrent plusieurs assaillants du poste Saint-Joseph. Hamilton lui-même, aidé par les encouragements du père Potier auprès de ses ouailles, monte une expédition de soixante-dix Canadiens contre Vincennes où les expéditionnaires ont pourtant des parents. Ils réussissent à occuper la place durant un an, jusqu’à ce que le général américain Clarke force Hamilton à se constituer prisonnier de guerre.
La première école
C’est vers cette époque, en 1786, que le père Hubert fonde ce qui sera la première école française en Ontario. Au départ elle ne comporte qu’une seule salle de classe et un dortoir d’une capacité de treize lits. A l’ouverture on compte huit pensionnaires.
Le Traité de Paris
Par le Traité de Paris de 1783, le Michigan et Détroit sont cédés aux Etats-Unis. Dans les faits; toutefois, l’Angleterre reste en possession de ce territoire jusqu’en 1796. Elle profite de ce temps pour s’attirer la sympathie de la population canadienne et est secondée en cela par le clergé catholique. La propagande est fructueuse, en 1795, une cinquantaine de Canadiens sur la rive américaine déclarent vouloir rester sujets anglais. Certaines familles traversent même sur la rive britannique pour rester sous la domination de George IlI, ce qui mène à la fondation de Sandwich et Amherstburg
L’ÉDUCATION
Au Détroit, qui deviendra le sud-ouest ontarien et le Michigan, la religion va presque toujours de pair avec l’éducation. Encore aujourd’hui, c’est Conseil scolaire de district des écoles catholiques du Sud-Ouest qui gère la grande majorité de l’éducation en français. C’est en 1786, que les premières institutrices, Mesdemoiselles Adémard et Papineau arrivent de Québec. Les salaires alors sont à peu près inexistants; les parents ne payent les frais de scolarité que s’ils peuvent se le permettre.
En 1912, le gouvernement provincial passe le Règlement 17 interdisant l’enseignement du français dans les écoles de l’Ontario. Dans la région de Windsor, plusieurs membres du clergé francophone se rebellent contre leur évêque, Mgr Fallon, qui se fait le champion de l’unilinguisme anglais. Le Père Lucien Beaudoin, de la paroisse Notre-Dame-du-Lac à Ford City, devient le symbole de cette résistance. À sa mort, en 1917, le choix de son successeur par Mgr Fallon déclenche ce qui reste marqué dans les annales comme étant L’émeute de Ford City. En 1927, le gouvernement provincial met fin au Règlement 17 et le français reprend petit à petit sa place dans le curriculum. Aujourd’hui, grâce à des écoles secondaires comme E. J. Lajeunesse, L’Essor ou Pain Court, écoles souvent obtenues après bien des batailles menées par la communauté, les étudiants francophones de la région peuvent suivre des cours en français de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire. En 1995, le collège des Grands-Lacs ouvre ses portes, mais ce qui se veut une expérience décentralisatrice tirant profit de la haute technologie échoue au printemps 2001, victime justement d’une tendance centralisatrice qui prive les étudiants francophones de la région d’une possibilité d’acquérir des expériences techniques professionnelles sur place. Bien sûr, comme toujours dans le pays de Cadillac, la communauté n’a pas dit son dernier mot et rien n’interdit de penser qu’un jour un autre collège verra le jour.
Enracinement
Le dix-neuvième siècle voit la communauté canadienne s’enraciner profondément dans le Détroit. Les habitudes se prennent, l’esprit régional se forme. La vie quotidienne est dominée par le souci du pain et du ciel. Pour le premier on se contente encore de pratiquer une agriculture de subsistance largement appuyée de chasse, de pêche et aussi de trappe. Pour le second, on fait confiance aux prêtres qui s`instaurent véritablement en guides et bergers de la communauté. Ils ne voient pas uniquement à évangéliser et à guider dans la voie spirituelle, ils s`impliquent résolument dans la marche temporelle des choses. C`est ainsi que le clergé contribue plus que quiconque à l`éducation, aux soins, à la toponymie et même à la politique. Pour répondre aux besoins d’une population de plus en plus dispersée, dès 1801 le père Marchand, curé de l`Assomption, établit la paroisse Saint-Jean-Baptiste à Amherstburg et la paroisse Saint-Pierre au bord de la rivière à la Tranchée.
La coupure
Mais la guerre de 1812 divise une nouvelle fois les Canadiens. Dans la ville même de Détroit, l’abbé Richard, loyal aux États-Unis, prend part activement à l’enrôlement de volontaires canadiens, ce qui lui vaut d’être emprisonné par les Anglais à Sandwich après la prise de Détroit, Par ailleurs, alors que les Amérindiens de Tecumseh ont l’intention d’attaquer Détroit avant même que l’Angleterre ne déclare la guerre, des Canadiens sur la rive britannique se cotisent pour acheter de la poudre au bénéfice des États -Unis. Dans le camp opposé, des voisins, d’autres Canadiens, près de quatre cents volontaires commandés par deux frères Babie, contribuent pour beaucoup à la prise de Détroit par le général Brock le 16 août. Finalement, la coupure définitive de la région en deux nations amoindrit l’importance numérique de ceux qu’il faut commencer à nommer plus spécifiquement les Canadiens-français, puisque jusqu’à cette époque le mot Canadien servait à désigner la population francophone. En 1820, le Haut-Canada ne compte plur que quatre mille francophones sur une population de cent vingt mille habitants. Il faut attendre 1830 pour que reprenne une immigration du Bas Canada (Québec et Acadie), alors touché par une crise économique.
Éclosion de paroisses
De nouvelles paroisses éclosent comme à Belle-Rivière. Windsor, fondée en 1836, est le centre florissant de la communauté canadienne-française. Le chemin de fer arrive dans le Sud-Ouest en 1854, apportant avec lui toujours plus d’immigrants du Bas-Canada. Ils s’installent jusque dans le nord-est du comté d’Essex et autour de Pain Court dans le comté de Kent; ainsi naissent des paroisses comme Saint-François-Xavier, à Tilbury (1855), Saint-Joseph, à Rivière-aux-Canards (1864), l’Annonciation, à Pointe-aux-Roches (1867), Saint-Clément, à McGregor (1881), Saint-Joachim, dans la localité du même nom (1881). Entre temps, en 1859, les Jésuites fondent le collège de l’Assomption qui deviendra l’Université de Windsor. Les Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie viennent à Windsor fonder une institution pour les jeunes filles, l’Académie Sainte-Marie. La population d’expression française est assez nombreuse pour justifier un hebdomadaire, celui-ci, Le Progrès, est publié dès 1880 par les frères Pacaud. Et c’est encore un prêtre, le père Wagner de la paroisse Saint-Alphonse, qui en 1889 fonde l’Hôtel-Dieu, le premier hôpital de Windsor.
Changements majeurs
Detroit n’est plus un village français mais une grande ville américaine qui, au début du siècle, compte déjà presque 300 000 âmes. La vision de Cadillac, dans une certaine mesure, s’avère juste: la position centrale de Detroit au cœur des Grands Lacs lui vaut une place primordiale dans le développement économique de l’Amérique du Nord. Une concentration importante d’industries reliées au transport – bateaux, carrosses et wagons, voire bicyclettes – se développe, menant presque naturellement à la fabrication d’automobiles. En effet, le paysage plat, l’abondance de gravier et les hivers doux favorisent, très tôt, la popularité de ce nouveau moyen de transport; en conséquence, les usines viennent d’installer là où se trouve le marché.
Pour les Canadiens français du Détroit, le vingtième siècle est marqué par cinq faits majeurs :
- le Règlement 17, qui prive toute une génération de l’enseignement en français:
- l’industrialisation, qui provoque une nouvelle immigration de francophones depuis le Québec et les provinces Maritimes et change le mode économique des habitants, qui passent sans transition travail salarié mécanisé.
- Le lancement de l’hebdomadaire “Le Rempart’:
- La mise en ondes locale de la radio puis de la télévision en français;
- L’obtention de conseils scolaires francophones séparés.
Un évêque pour le monolinguisme
En 1912, sous l`instigation de l`évêque Fallon, le gouvernement ontarien passe le Règlement 17 qui interdit l’enseignement en français dans les écoles de la province. Dans la région de Windsor c’est la consternation pour tous les Canadiens français attachés à leur langue. Des Grande pointe prêtres essaient de leur apporter leur soutien, comme la père Napoléon Saint-Cyr, à Grande Pointe, le même qui en 1908 a apporté son encouragement à l’établissement d’une conserverie de tomates. Mais l`évêque Fallon, intransigeant, nomme à leur place des prêtres plus “soumis“ à ses vues politiques. La nomination, en 1917, d`un successeur au père Lucien Beaudoin déclenche l’émeute à Ford City. Il faut attendre que le pape nomme l’évêque Fallon aux États -Unis et que le gouvernement ontarien abolisse le Règlement 17 en 1927 pour que le français réapparaisse dans les écoles. Mais mal est fait, toute une génération d’étudiants est perdue pour la langue.
Des hauts et des bas
Le français aurait peut-être même fini par disparaître à toute fin pratique si, en 1970, Windsor n’avait pas obtenu la radio française CBEF puis, en 1976, la chaîne de télévision française. Un autre espoir vient s’ajouter en 1979, la construction de L’Essor, première école secondaire français; suivie, en 1990, un an après l’adoption de la loi provinciale sur les services en français de E.J. Lajeunesse, la deuxième école secondaire française. Cette même année voit la naissance de place Concorde, le Centre communautaire francophone de Windsor. En 1995, nouvelle victoire; c’est l’ouverture du Collège des Grands Lacs. Malheureusement la direction de celui-ci est à Toronto et semble démontrer les intérêts “centralisateurs “. L’établissement de Windsor se voit démantelé en avril 2001, quelques mois avant les célébrations des fêtes Tricentenaire de la plus ancienne communauté permanente francophone à l’ouest de Montréal.
Vers l’avenir
Juin 2001 : Ouverture des Sentiers historiques, qui retracent la belle aventure de la communauté française du Détroit. En même temps que l’on se tourne vers le passé, l’on ne peut s’empêcher d’envisager l’avenir. Que sera- t-il? Passés de la traite des fourrures au commerce sur Internet, du canot d’écorce à la mini-fourgonnette et du troc a l’ALENA, nous sommes toujours ici. Traversons-nous les bouleversements futurs en tant que citoyens de Windsor, Essex ou Kent en nous exprimant en français? Nous croyons que notre passé est garant d’une réponse affirmative. Deux mots résument l’expérience des francophones du Détroit: adaptation et renouveau. C’est dans l’équilibre de ces deux concepts que l’on trouve la clé de la survivance de la communauté qui, dès le début de la colonie, a dû négocier des échanges culturels avec une succession de groupes majoritaires – Autochtones, Britanniques, Loyalistes, Américains – et enfin la société multiculturelle d’aujourd’hui. Le climat, la distance avec les autres centres de population et la situation géographique du Détroit au cœur de l’Amérique du Nord sont un ensemble qui a contribué à l’expérience unique d’une partie du Canada français. Chaque nouvelle vague de population a amené son propre point de vue et a proposé ses propres solutions aux défis de la vie dans ce foyer, chaque groupe a maintenu son caractère propre tout en intégrant de nouvelles perspectives à sa vision du monde. Ce sont ces expériences partagées sur trois siècles qui font la grande richesse de cette communauté.
Dans une lettre au roi, voici un extrait de la description que Cadillac faisait des rives du Détroit: Ses rives sont autant de vastes prairies, dont la fraicheur de ces belles eaux tient l’herbe toujours verdoyante. Ces mesmes prairies sont bordées par de longues et larges allées de fruitiers… C’est sous ces vastes allées, où l’on voit assemblés par centaines le timide cerf et la biche craintive avec le chevreuil, bondissant pour y ramasser avec empressement les pommes et les prunes dont la terre est pavée; c’est là que la dinde soigneuse rappelle et conduit sa nombreuse couvée pour y vendanger le raisin… Les faisans dorés, la caille, la perdrix, la bécasse, la tourterelle abondante, fourmillent dans le bois et couvrent les campagnes entrecoupées…Le poisson y est nourri et baigné par une eau vive et cristalline, et sa grande abondance ne le rend pas moins délicieux. Les cygnes sont en si grand nombre, qu’on prendrait pour des lys les joncs, dans lesquels ils sont entassés. L’oye babillarde, le canard, la sarcelle et l’outarde y sont si communs, que je ne veux, pour en convaincre, que me servir de l’expression d’un (Indien) à qui je demandas, avant d’y arriver, s’il y avait bien du gibier: « Il en a de tant, dit-il, qu’ils ne se rangent que pour laisser passer le canot. » C’est presque le paradis et c’est en un tel pays que se sont installés les ancêtres de la communauté. Il est notoire que la religion catholique et l’éducation ont été les premiers gardiens de la langue et des coutumes. Déjà, en juillet 1701, à peine deux jours après l’ordonnait la construction d’une chapelle dédiée à Sainte-Anne. Aujourd’hui, presque à proximité, l’église du même nom est la plus vieille des États-Unis après celle de Saint-Augustine en Floride, et de l’autre côté de la rivière, la paroisse l’Assomption est la plus vieille au Canada à l’ouest de Montréal. Aussi sor que 1626, le père Joseph de la Roche d’Aillon, un missionnaire Récollet, rencontre Étienne Brûlé dans la région. En 1640, le père Jean de Brébeuf et le père Joseph-Marie Chaumonot y passent tout l’hiver. En 1670, les pères Dollier et Galinée, des Sulpiciens, atteignent ce qui sera nommé le lac Sainte-Claire. Neuf ans plus tard, le père Louis Hennepin, accompagne La Salle à Bord du Griffon. Mais c’est en 1728 que le père de la Richardie est envoyé à la mission des Hurons. En 1742, il installe les Hurons dans l’Île aux Bois Blancs (Bob-Lo) et, en 1747, il est rappelé au Détroit pour rétablir l’ordre entre les tribus. En 1767, le père Pouer est nommé premier curé de ce qui est aujourd’hui la plus ancienne paroisse en Ontario, Noue-Dame de L’Assomption.Par la suite, tout au long de l’histoire du Détroit. la fondation de paroisses reflète fidèlement l’expansion de la population francophone:
1767 – Paroisse de L’Assomption
1802 – St-Pierre (Rivière La Tranche)
– St-Jean-Baptiste (Amhentourg)
1834 – St-Simon et St-Jude (Belle Rivière )
1851 – Immaculé Conception (Pain Court)
1855 – St-Françoise-Xavier (Tilbury)
1856- St- Alphonse(Windsor)
1859 – Ste-Anne (Tecumseh)
1864 – St-joseph (Rivière-aux-Canards)
1867 – Paroisse de l’Annonciation (Pointe-aux-Roches)
1880- St-Clément (McGregor)
1881 – St-Joachim
1884 – Notre-Dame du Lac (Sandwich East)
1886 – St-Philippe (Grande Pointe)
1900 – Très Saint Rédempteur (Staples)
1921 – Sacré-Coeur (LaSalle)
1928 – Ste-Thérèse (Windsor)
1934 – St-Charles (Stevenson)
1951 – Notre-Dame de Lourdes (Combes)
1955 – St-William (Emeryville)
1958 – St-Jérôme (Windsor)
Malgré tout ceci, il reste néanmoins curieux de penser que c’est un évêque du diocèse de London qui a failli avoir raison de langue française en Ontario,où tout au moins dans les écoles de la province.
LA FORÊT ET L’AGRICULTURE
Dans le Sud-Ouest, depuis le début, l’activité forestière va de pair avec le développement de l’agriculture. Le visiteur notera que les terres, le long des côtes du lac Sainte-Claire, sont presque dénudées d’arbres, comparativement aux fermes le long de la côte du Détroit.Les premiers colons, au dix-huitième siècle, défrichent selon leurs besoins. Au dix-neuvième, il y a des scieries à Rivière-aux-Canards et à McGregor, mais c’est surtout à l’est du territoire que se développe une industrie forestière d’envergure. Les villages de Comber, Staples et Tilbury doivent leur expansion presque exclusivement à l’industrie forestière. D’importantes scieries sont construites à Rivière à la Pêche, Belle-Rivière, Saint-Joachim, Pointe-aux-Roches et Pain Court. Non seulement le défrichage libère la terre pour l’agriculture, mais il constitue une source de revenus supplémentaires pour les nouveaux colons qui vendent le bois pour la construction et le chauffage. La cendre, avec laquelle on fabrique de la potasse, est commercialisée, de même que le charbon de bois, qui alimente les usines d’acier de Detroit. En 1881, il y a 30 fours à charbon dans le comté d’Essex, dont 18 à l’ancien village de Sainte-Claire, situé à l’époque entre Pointe-aux-Roches et Saint-Joachim. Ces fours consomment plus de 600 cordes de bois chaque semaine. Une ligne de chemin de fer de Staples amène le bois directement aux fours; la cendre et le charbon sont exportés par bateau du port de Belle-Rivière. Évidemment, une bonne partie de la forêt sert à produire des planches pour la construction de maisons et de bâtiments de ferme. Il y a aussi, à Staples, un moulin où l’on fabrique des barils. On brûle aussi beaucoup de bois sur place: Certains témoins mentionnent l’immense nuage de fumée qui recouvre le comté d’Essex. D’autres disent même que la lueur des feux est visible dans le ciel nocturne jusqu’à Chicago. Parallèlement, le chemin de fer contribue au développement agricole, permettant d’exporter des produits vers des marchés de plus en plus éloignés. L’agriculture du Sud-Ouest est en plein essor. Les nouveaux arrivants ne sont pas comme leurs prédécesseurs du dix-huitième siècle. Ils partagent certes la culture et la langue, mais celles-ci ont évolué depuis un siècle, sous l’influence d’une élite religieuse et professionnelle qui voit au maintien d’un mode de vie traditionnel comme le meilleur gardien de la langue et de la foi. La survie ne dépend pas de l’adaptation, mais de la défense de la tradition. Les nouveaux colons démontrent un intérêt particulier pour l’agriculture. Contrairement à leurs prédécesseurs, ils se lancent presque immédiatement dans une culture de grande envergure. L’ancien système d’arpentage en longues et étroites bandes de terre le long des cours d’eau est abandonné par le gouvernement britannique. Dès la fin du dix-neuvième siècle, le comté d’Essex est découpé en cantons, sous-divisé en sections de 200 acres qu’on accorde à quiconque s’engage à défricher la terre et à construire une maison habitable. Le nouveau système, avec les progrès des transports, permet la culture commerciale de blé, d’orge, d’avoine, de maïs et de soya, ainsi que l’élevage à grande échelle. Avant la fin de cette période naissent aussi des cultures plus spécialisées, comme celles du tabac et des betteraves à sucre dans le comté de Kent. Ce sont les agriculteurs de Pointe-aux-Roches, aidés par le Père Saint-Cyr, qui organisent une première conserverie de tomates dès le début du vingtième siècle, donnant ainsi le coup d’envoi à une véritable industrie agricole. Cette période donne aussi naissance à plusieurs grands projets de drainage de marécages le long du lac Sainte-Claire et de la rivière Thames. À Grande Pointe ou Pain Court, on voit encore aujourd’hui les grands canaux qui ont rendu possible la culture de la belle terre noire, l’une des plus fertiles au pays. De plus, le drainage des marais a l’avantage de mettre fin aux épidémies de malaria. En 1943, Philippe Chauvin entreprend les démarches qui aboutiront à l’établissement de la Coopérative agricole de Pointe-aux-Roches en 1946. Aujourd’hui, des agriculteurs francophones font preuve d’initiatives originales, comme à Pain Court où l’on se lance dans la culture industrielle du chou de Bruxelles, dans celle industrielle du chanvre, ainsi que dans la production à très grande échelle de plants sous serres aussi bien pour les cultures maraîchères que pour celles des plantes d’ornement ou médicinales. Tous ces efforts conjugués à la richesse exceptionnelle du sol et à un climat, loin d’être celui qu’on imagine pour un pays où se trouve le pôle Nord, font que la région du Sud-Ouest a su attirer des grandes industries alimentaires comme Heinz, Campbell ou Géant Vert es mérite avec raison d’être surnommé le jardin du Canada.
L’INDUSTRIALISATION ET LE COMMERCE
A l’origine, l’activité économique principale de la région réside dans la trappe, ensuite, après Cadillac, durant tous les dix-huitième et dix-neuvième siècle, les francophones de la région vivent principalement d’une agriculture de subsistance, bien que des jardins maraîchers, comme ceux de la Petite Côte, fournissent déjà la ville de Detroit. À la fin du dix-neuvième siècle, les francophones de Windsor participent au développement commercial et social de la ville, alors que des intérêts puissants entrent en jeu. En 1880, Hiram Walker achète plusieurs fermes à l’est de la ville et fonde la distillerie qui porte son nom et produit le célèbre Canadian Club. Il érige des logements pour ses employés et fait ouvrir banques, commerces et bureaux de poste pour desservir la petite communauté qui deviendra Walkerville Quelques années plus tard en 1904, l’industriel Henry Ford, désireux de vendre ses produite à tarifs réduits dans tout l’empire britannique, établit une usine à l’est de Windsor. À la Walkerville Wagon Works, les 17 employés assemblent 117 voitures Ford dès la première année d’opération. Cinq ans plus tard. 1 000 employés fabriquent 6 000 autos par année. En 1915, le quartier est incorporé sous le nom de Ford City. Et ce n’est que le début, car Ford est suivi non seulement par Chrysler et General Motors, mais aussi par Studebaker, Hupp, Packard, Dodge et Pierce Arrow, qui tous fabriquent des voitures à Windsor. Parmi les pionniers, mentionnons le forgeron Moïse Ménard, né à Belle-Rivière en 1859. En 1908, il fonde la compagnie Menard Auto Buggy à Windsor. Son usine, au coin des rues Caron et University, produit des autos jusqu’en 1920. Ménard se nomme lui-même « le père de l’automobile canadienne ». Il est le premier à faire de la publicité pour des voitures fabriquées entièrement à Windsor, très populaires au Québec et dans l’Ouest canadien. Windsor devient donc le premier grand centre manufacturier au Canada. Le développement attire une main-d’œuvre de partout au pays et même d’outre-mer. Les anciens quartiers francophones de Windsor accueillent très vite des ouvriers de Tchécoslovaquie, Ukraine, Pologne, Italie puis, plus tard, des communautés asiatiques et africaines. Le mouvement syndical se développe avec l’industrialisation, ensemble, les deux mouvements amènent de grands changements à la vie traditionnelle des francophones de la région qui, bientôt en position minoritaire, se croient obligés d’adopter la langue commune pour le travail et le commerce. Le travail dans les usines fournit des salaires très élevés par rapport aux revenus agricoles, ainsi les francophones du Sud-Ouest n’ont pas à quitter la région. Au contraire, la ville de Windsor, dès la fin du dix-neuvième siècle, est un pôle d’attraction non seulement pour les francophones du Sud-Ouest, mais aussi pour de nombreux Canadiens français du pays. Avec eux, arrive une élite professionnelle – médecins, avocats, éducateurs, hommes d’affaires – souvent reliée au réseau politique et religieux basé à Ottawa et à Montréal. Ils amènent un fort sentiment nationaliste. La plupart des membres de ce groupe s’établissent à Windsor et à Tecumseh, mais leur influence rayonne partout dans le Sud-Ouest; notamment à travers des journaux comme, à partir de 1918, La Défense, en 1921, La Presse Frontière, en 1931, La feuille d’Érable, du sénateur Gustave Lacasse. La fin de la Deuxième Guerre mondiale apporte des changements profonds dans la communauté francophone, L’amélioration des routes et la popularité de l’automobile procurent une mobilité qui, une génération plus tôt, était inconcevable; les campagnes les plus lointaines sont à peine à une heure de la ville. Les mariages à l’extérieur de la communauté deviennent de plus en plus fréquents. Le marché du travail se rapproche considérablement. Toutefois, l’industrialisation a des effets mixtes sur la vie traditionnelle. De plus en plus de terrains agricoles disparaissent sous l’avance du développement urbain et industriel. Malgré tout, c’est le travail bien rémunéré dans les usines qui permet à plusieurs familles de conserver la terre ancestrale. On travaille aux champs le jour, on fait des voitures la nuit. De plus en plus, la région de Windsor devient un centre d’accueil pour des francophones du monde entier. Pour des raisons personnelles, économiques ou politiques, un grand nombre de Haïtiens, Libanais, Vietnamiens, Sénégalais, Camerounais, Congolais, Rwandais et Burundais habitent maintenant Windsor. Les membres de ces nouvelles communautés non seulement apportent un influx nouveau mais aident à créer des liens économiques essentiels entre le Détroit et le reste de la francophonie nationale et internationale.